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vie privee - Page 4

  • " Nous bûmes tout le jour, un autre et le suivant."

     

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    De la gare à mon hôtel, il n’y avait pas loin et mon sac pesait moins que mon pas dans la jonchée de feuilles mornes voltigeant lourdement avec des cris secs de petit bois brisé aux pieds mélancoliques des platanes.

    Nous étions un Vendredi, de ça je suis certain, un Vendredi tout étourdi de fin d’Automne que le Mistral froissait, un Vendredi au ciel crissant de givre, crevé de passereaux nombreux comme des taches, l’année, je ne sais plus.

    J’étais descendu la veille à Marseille pour y rencontrer un croisiériste Américain intéressé par nos programmes.


    Je devais dés le Lundi suivant prendre part à un jury appelé à choisir parmi cinquante candidats, les deux accompagnateurs chargés d’animer un tour hommage au peintre Paul Cézanne, développé par mes employeurs en partenariat avec l’office du tourisme de la ville d’Aix.

    Ainsi, je disposais de trois jours de farniente que je n’entendais pas gaspiller à flâner autour du vieux port et de la place Thiard, ni à me pavaner au « Cancan » ou à « La mare au Diable », pas plus que je n’avais l’intention de gouter aux charmes d’un vieil Aix à mon cœur plus familier encore que mon Paris natal car sujet passionnant et passionnément traité de mon mémoire de fin d'études.

    J'avais mieux à faire et un crime à commettre.

    Pour la toute première fois et, me jurais-je, la dernière, je m'apprêtais à tromper Julien.


    Ni de gaité de cœur, ni de gaité de corps, mais dans toute la froide détermination avec laquelle on tranche un membre rongé de gangrène.

    J’aimais encore « Beau Masque » et déjà « le Comédien »
    Encore de ce dernier point n'étais-je pas certain.
    Pas plus que du premier à la réflexion!

    Si passer d’un homme à un autre avec cette légèreté amusée, charmeuse, aguicheuse qui au Quadrille vous fait basculer d’un bras rude à un autre plus doux, m’avait naguère donné à sourire, ce sourire séducteur, triomphant et cynique fanait cette fois ci en rictus désenchanté.

    Contrairement à Stéphane, je n’avais pas désiré voir que nous étions destinés, par une configuration méchante des planètes ou plus simplement parce que nos absolues différences se plaisaient à jouer les aimants, à nous aimer déraisonnablement.

    De cet amour qui ne se cherchait plus de raisons depuis qu’il les savait toutes mauvaises, nous voulions penser qu’il grifferait durement la surface de nos corps sans trop altérer l’intégrité de nos cœurs, qu’une fois nos pulsions sanguines apaisées, la soif dévorante que nous avions du gout de l’autre assouvie, il se retirerait sans espoir de retour, comme au théâtre la troupe salut avant un dernier rideau, ne laissant d’autres traces sous les fards et les masques que l’écho des bravos , l’ivresse de la scène et la nostalgie des tréteaux .

    Nous pensions sincèrement pouvoir comme si de rien n’était revenir à la simplicité de nos vies séparées, lui folletant de sexes en bouches avec la blonde désinvolture d’un vent de pollen aux calices d’un jardin ; moi retrouvant la pesanteur indulgente des bras d’un Julien qui avant moi savait, qui mieux que moi savait.

    Stéphane ne m’attendait pas plus à l’hôtel qu’il ne m’avait attendu à la gare. J’en éprouvais du soulagement. Je ne me sentais pas prêt à le voir, moins encore à le toucher, à l’embrasser. Il me fallait un peu plus de temps pour que Julien se détache complètement de moi et le SMS enjoué qu’il venait de m’adresser n’aidait pas à l’affaire. J’espérais sourdement que « Le Comédien » aurait renoncé, qu’il ne quitterait pas son village de Saint Cannât, que nous ne nous retrouverions pas.

            

    Il se manifesta un peu avant midi, me demandant de le rejoindre aux « 2G ».

    Tout en haut du cours Mirabeau, au pied de la statue du « bon »Roy René, les « 2 G » ou plutôt les « 2 Garçons », ainsi nommé non parce qu’il est le point de ralliement de toutes les pédales des environs, mais parce qu’il fut fondé par deux garçons de Café associés, est un Bar-Brasserie connu par toute la France pour la beauté de son décor et l'aigreur de ses serveurs.

    Stéphane avait pris place sous la bâche protégeant la terrasse près d’un brasero dont les flammes électriques allumaient sur son visage d’ordinaire d’un blanc si pur qu’il en paraissait maladif, une rougeur de coqueluche.


    Bien qu'il ne m'ais jamais paru d'une beauté éclatante, je le trouvais plus enlaidi encore depuis qu'il maigrissait de dépit, de jalousie, de déconvenue .Seuls ses yeux du bleu étonnant des Turquoises Persanes, sa blondeur fragile et tendre, aussi douce à la lumière qu'une dentelle de soie, le sauvaient de l'ordinaire.


    Nous formions à vrai dire le couple le plus mal assorti que l’on puisse imaginer, tant j’étais alors brun et cuivré, ma bouche large et charnue de deux tons plus sanguine que ses fines lèvres nacrées, jusqu’à mon nez dont la délicatesse m’avais toujours ennuyé qui ne parut comparé au sien aussi vigoureux que celui d’un Gascon. J’étais le chêne massif et sombre, lui le frêle et clair lierre-liseron.

    Il parait, au demeurant, que ces deux espèces s’épousent volontiers.

    Je compris le malaise de Stéphane aux whiskies qu’il buvait un peu trop vite, plus qu’a la raideur de son maintien ou à la maladresse heurtée de propos exclusivement consacrés à la météo et aux premières décorations de noël dont s’ornaient les rues piétonnes.

    Je lui fit remarquer d’un timbre dont je contrôlais assez bien les agacements que je n’étais pas venu à Aix pour entendre parler d’anticyclones et de guirlandes de couleurs. Il dit qu’il savait très bien merci, pourquoi je me trouvais là, qu’il avait longuement réfléchi à la situation pour en arriver à la conclusion qu’il ne désirait pas que notre histoire commençât dans une sordide chambre d’hôtel.

    Je lui fis remarquer que ma chambre, claire, chaleureuse et donnant sur les vestiges des fortifications Romaines, n’avait rien de sordide et qu’en plus, il n’était pas question que notre histoire commence, mais bien qu’elle se termine.

    Il répliqua sèchement que j’étais à l’évidence le seul à y croire.

    Aussitôt je partis en bourrasque. J’avais envie de lui, certes de moins en moins précisais perfidement, cependant , rien de ce qu’il pourrait se passer entre nous au cours de ces trois jours, ne me ferais dévier de ma trajectoire : Je retournerais à Julien et sans doute même lui avouerais je ce qu’il savait déjà sans qu’il n’ait eut besoin de se montrer grand clerc, puisque si je mentais à tout le monde avec la faconde d’un bateleur, il m’était impossible de feindre bien longtemps face à la perspicacité rieuse de mon homme.


    MON homme, enchaina Stéphane tout en ironie, comment pouvais je appeler MON homme UN homme que je n’aimais plus depuis des mois, mais que je n’avais pas le courage de quitter parce que son aisance sociale, ses qualités intellectuelles et morales m'enchantaient, comme sa beauté fanfaronne me flattait ?

    En effet rétorquais je, pourquoi échanger un pur sang que chacun m’enviais contre un bardot tout juste bon à braire des sottises avec l’accent de Fernandel fils , puisque le père , lui, avait du talent ?

    Stéphane éclata d’un rire narquois.


    Ne venais je pas d’avouer sans même m’en rendre compte rester avec Julien par simple vanité ?

    Au lieu d’accrocher des fureurs légitimes à ce rire je m’enfermais dans ma Bastille de silence, conscient déjà, d’avoir perdu le pouvoir.


    Du reste, et même si je l’ignorais encore, du pouvoir je n’en aurais jamais sur « Le Comédien », mon précieux snobisme Parisien se brisant tout net aux arrêtes de son bon sens paysan. Si je ne pouvais mentir à Julien, je ne ferais pas longtemps illusion aux yeux de Stéphane dés que nous serions ensemble , ne comprenant que lorsqu’il serait trop tard que la délivrance, le bien être, le soulagement que j’éprouvais à être regardé tel que j’étais et non tel que je paraissais , à laisser tomber le masque , à abandonner la pose corrompaient notre relation plus qu’elle ne la servait, Stéphane aimant bien d’avantage le clinquant outrancier de « Mauvaise . Graine » que les frilosités enfiévrées de Vania.

    Non content de me prendre pour un autre, il me prit également en traitre.

    A défaut de nous retrouver dans ma « sordide » chambre d’hôtel, nous gagnâmes dans l’arrière pays un petit cabanon que son grand père possédait à l’orée des vignes, une triste bicoque au toit de lauzes et aux murs du bleu fané des lavandes.

    Aussi loin que le regard portait il embrassait un cimetière de ceps griffus comme des bras secs de cadavres jaillissant d'un sol de cendre ; puis un val creux ou des plantes rampantes, longues filandres ternes que tachait la rouille des chardons formaient sur la roche crayeuse un horrible tapis de scalps. Attelée à la masure ,une tonnelle en treillis argenté offrait l'osier brulé de son toit pentu aux voltiges d'un peuple d'araignées grasses et velues .les grands vents d’été avaient poussé la poudre grises des déserts jusque dans la pièce principale que nul ne s’était donné la peine de balayer .Le lit, au fond d'une alcôve que masquait un drapé à tournesols, montrait un matelas de crin crevé de toutes part. Par contre, les draps, en pile sur le chevet, frais, propres et brodés semblaient sortir de l'armoire d'un prieuré. Il y avait une seule chaise , un banc grossier, taillé dans de l'olivier, une table pataude sous une toile cirée orange , un évier d'étain grand comme un lavoir qu'encombrait des brocs et des bassins de faïence. Par dessus nos têtes, les combles résonnaient de la sérénade qu'y donnait une multitude de bêtes. Dans la cave à laquelle on accédait par une trappe ouvrant sur un escalier raide à se tuer , vieillissaient plus de bouteille d’un nectar de Provence que nous n'en pourrions pisser.

    Nous bûmes tout le jour, un autre et le suivant.

    Des rouges épais comme des sirops, des blancs moussus, des rosés au pétillant de grenades.

    Je ne sais plus qui le premier osa enlacer l’autre tant nous étions ivres. Je me souviens par contre que son corps très blanc, très anguleux, sa toison rousse et dense comme de l’étoupe me dégoutèrent un peu au premier abord.

    Je sais aussi que ni l’un ni l’autre n’eûmes beaucoup de plaisir la première fois .

     

     

    Pas plus que la seconde ou même la troisième.

    Je sais enfin que ça n'avait aucune importance, que le destin trébuchait aveugle comme oscillent les pendus que les corbeaux dévorent et que déjà nous étions perdus.

    C'était un Vendredi à la fin de l'Automne, l'année je ne sais plus.

     

     

     

     

     
     

     

     

     

     

     

     

     

  • " Tout au bout du bout du monde."

     

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    Penchée au bord de la falaise de craie blanche dont elle était le prolongement exact , agrippée à ses remparts comme pour en prévenir l’écroulement , la vielle citadelle génoise paraissait sur le point de verser dans la mer, poussée par un vent terrible soufflant ses fureurs liquides sur les bouches de Bonifacio , de l’anse de la Catena , à l'entrée du port , jusqu’ aux docks de Santa Teresa di Gallura contre lesquels elles s’échouaient avant de se disperser en multitudes de courants apaisés sur la grande plaine Sarde.

    Le vigoureux petit ferry fendait de son étrave des murs d’eau verte plus hauts que lui, souquait, crachant, craquant, brasillant d’écume, en direction d’une Marina qu’il semblait ne devoir jamais atteindre tant la force des éléments jouait contre lui.

    « - Bonif, c’est 300 jours de vent par an, me disait le jeune et jovial pêcheur de corail, rond et brun comme les châtaignes de son ile, auprès duquel j’étais assis. Et encore, aujourd’hui ça souffle à peine. D’habitude c’est bien pire ! Vous savez que les pilotes de supertankers viennent s’entrainer dans les bouches tellement les conditions météo sont difficiles ? Vous ne le saviez pas ? Hébé maintenant vous le savez ! Y a pas à dire ça instruit les voyages ! Bonif, vous verrez, c’est une ville très particulière. On n’y est plus vraiment en France mais ce n’est pas encore l’Italie. Ce n’est pas d’avantage la Corse tant ça diffère du reste de l’ile. Tenez, la roche, le calcaire, par exemple, on ne le trouve qu’ici ! Une veine de craie dans le granit. La langue aussi n’est pas la même. Nous on parle un patois issu du Ligure alors que le Corse dérive du vieux Toscan, personne ne nous comprend. On est un peu des étrangers chez nous, vous voyez ce que je veux dire ?

    Parce que je le trouvais sympathique et rigolo, je me forçais à écouter ses bavardages, dissimulant tant bien que mal derrière un sourire qui se voulait affable alors qu’il se crispait à chaque secousse du navire, ma fièvre de retrouver Julien.


    Jamais les douze malheureux kilomètres séparant la Sardaigne de la Corse ne me parurent plus longs à parcourir. Au bout du voyage il y avait le port, et sur le port il y avait mon homme, aussi malade d’impatience que je l’étais moi-même.


    « - Vous voyez le yacht, là bas devant la capitainerie, le grand qu’on dirait un Transatlantique ? Continuais mon intarissable compagnon. Hébé, figurez vous qu’il appartient à Bill Gates .Même pas il en profite ce con. Il le loue, comme s’il n’avait pas assez de monnaie comme ça. A Brad Pitt. Je vous jure, c’est vrai ! Je l’ai vu l’autre jour dans la rue Doria avec la fille qui joue dans « Friends », Rachel machin-chose. Ah il en passe de la viande célèbre chez nous. Faut dire qu’on leur fiche une paix royale. Vous ne verrez personne demander un autographe, ni même prendre une photo. Et quand les paparazzis les embêtent, hébé nous, les vautours on les bastonne histoire de leur apprendre les bonnes manières. Ma mère dit que les Corses, sont encore plus fiers que les stars d’Hollywood, que ça nous ferait mal au ventre de montrer qu’on est impressionnés par la célébrité ou le fric. Du coup les mecs- people- machin ça leur fait de vraies vacances cette indifférence. Pas comme en France ou là en face chez les « Luchesi » ! On les appelle comme ça nous les ritals, « I Luchesi », parce que les premiers envahisseurs en huit cent et quelque chose venaient de Lucques en Toscane. D’ailleurs c’est le Comte Boniface II de Toscane qui a fondé la ville. Et vous, les Gaulois, vous êtes « I Pinzuti » parce que vous parlez avec l’accent pointu ! Putain, mec, on arrive ! Faut faire un vœu. La première fois qu’on met le pied sur la plus belle terre du monde ça demande un putain de vœu !

    Mon putain de vœu c’était réalisé avant que je le formule puisque Julien, capitulant à bout de nerfs, de désir et de passion, m’avait demandé de le rejoindre, Julien que j’aperçus le premier tandis que je m’apprêtais à débarquer, Julien grave et tendu derrière d’immenses lunettes d’éclipse, trempé d’embruns et blanc de sel , Julien qui brusquement tournais le dos au vent pour allumer une cigarette si bien que lorsqu’il fit volte face , je me trouvais seulement à quelques centimètres de lui .


    Il eut un sursaut en arrière comme un mouvement de retrait, plus pale encore, hésitant, balbutiant du silence avant de me noyer sous le flot confus, rapide, heurté de paroles qui cherchaient leur sens.

    « - Ah tu es là, cool ! Tu as fait bon voyage ? Non, hein ? Tu as vu ce vent ? On se croirait en Décembre .Génial, tu n’as pas pris quarante valises. Bon bé on y va alors .L’hôtel n’est pas loin, juste là sur le quai. « La Caravelle », tu verras c’est bien. Il y a même un piano bar. Le pianiste, c’est un as. Il joue au Cirque d’hiver hors saison. Sa femme, tu vas l’adorer, elle est folle. On les fréquentera, à Paris, ils ont un appart aux Buttes Chaumont. J'ai pensé que c’était mieux de rester ici deux jours histoire de se retrouver tous les deux en tête à tête avant de rejoindre mes parents à Ajaccio. Je leur ai dit, tu sais, comme ça, brut de décoffrage, je l’aime et il arrive, si vous m’aimez vous l’aimerez aussi. Ils ont répondu, pas de problème du moment qu’on ne s’affichait pas. C’est quoi d’après toi s’afficher ? Se rouler des pelles devant tout le monde ? J’ai envie de t’embrasser mon amour, j’en peux plus. Allez magne, on est presqu’arrivés. Bon là, on est dans la ville basse .Des boutiques, des restos, des cafés, des hôtels, aucun intérêt. Par contre la ville haute est un joyau Médiéval. Tu vois la petite chapelle, là, toute blanche ? C’est Saint Roch, on l’a construite au XVIème Siècle à l’endroit ou est morte la dernière victime de la grande peste qui a décimé les trois quart de la population. Au dessus regarde, la porte de Gènes qui ouvre le chemin de ronde, alors que la porte de France de l’autre coté de la citadelle le ferme. Et la colonne de granit gris, à droite, au bort de la route, juste dans le virage, elle a été sculptée par les esclaves Romains. Aujourd'hui c'est le monument aux morts .Et là, le yacht, le gros, il appartient à Bill Gates.

    « - Qui l’a loué à Brad Pitt, je sais. Bon, tu te calmes un peu et tu me dis bonjour, tout simplement ?

    Il s’immobilisa tout net devant l’entrée de l’hôtel et là, indifférent à un monde plus indifférent encore, il caressa mon visage de sa longue main brune tandis qu’il me disait d’une voix chaude et émue les plus jolis mots d’amour que l’on m’ais jamais dit.

    « - Bonjour mon rêve.

     Antoine Ciosi: «  Ritornu. »
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  • " Brother outlaw."

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    Juillet s’achevait péniblement dans des vapeurs métalliques, des fumées floconantes de bateau à aube haletant le long d’un faible bras de rivière que la mer repousse.

    Harassé de chaleur je trainais mon grand cadavre bruni, pleurant de sel et de sang l’absence de Julien, dans un Porto Cervo aux allures criardes de foire aux vanités, comme les filles du calvaire pleuraient le Christ en croix.


    Seul célibataire parmi des couples en état de béatitudes aggravées, je prenais en horreur l’étalage poissé de Monoï de leurs extases.

    Dieu que Walter et son amoureux me semblaient niais, lorsqu’ils roucoulaient plus fort qu’un peuple de ramiers aux flèches des cathédrales, leurs têtes mesquines penchées l’une vers l’autre, l’œil rond et sot, irréfléchi, le bec tout sucré par la crème des glaces qu’ils partageaient au même cornet.

    Et que dire de Sasha, rajeunie de vingt ans depuis qu’elle batifolait avec le petit fils, à peine majeur, d’un constructeur automobile Milanais dont elle tentait, mais en vain, d’ébranler la fortune dans les boutiques du Sottopiazza ?

    David lui-même, se consumait pour un long lys Bavarois, sorte de croisement improbable entre une Elizabeth frappée de très germaniques mélancolies et un Ludwig délirant de baroques passions au clair d'une lune blême, dont nous nous demandions ce qu’il était bien venu chercher dans un pays ou l'ombre est plus rare que les blanches gelées des jolis matins d’hiver aux dunes du Sahara , sa carnation neigeuse craignant à tel point le soleil, qu’il passait ses jours claque muré au plus frais d’une villa forteresse .

    "- Tu crois que c'est un vampire ? interrogeait, vaguement inquiète, Sasha.
    " - Ca me parait évident, répliquais je. Jamais je n'ai vu David aussi mordu !

    Mordue elle aussi, nous avait rejoins une chanteuse de variétés, un peu passée de mode aujourd’hui, que l’on disait sotte et creuse alors qu’elle ne l’était pas du tout, sauf ,bien sur, lorsqu’elles se mêlait d’ avoir des idées, certaines plus communes si possible que les ritournelles désenchantées qu’elle changeait en galettes d’or par la grâce d’une voix dont la rondeur sensuelle palliait au manque de puissance .

    Pire encore, notre diva voyait de la conspiration partout, des paparazzis derrière chaque parasol, si bien qu’elle me refilait, dés que nous mettions le nez dehors, le paquet cadeau du sigisbée décharné aux longues boucles cuivrées, aux longs yeux languides de petit faon, aux longues conversations analphabètes, lui tenant lieu de fiancé occasionnel.

    Quant à papa, moins idiot que le reste du troupeau, il s’était tiré en mer à bord d’un 18 mètres moteur loué au prix d’un appartement avenue Georges-Mandel, avec pour seul équipage "Belle-maman", ma « sœur-à-moitié » et l'espoir secret, hélas déçu, de noyer les deux emmerdeuses entre Naples et Capri.


    Julien, de son coté, séjournais à Ajaccio chez ses parents .

    S’il avait bien prévu de me laisser l’y rejoindre, il entendait au préalable, préparer son monde à l’onde de choc que ne manquerait pas de provoquer dans la cité Impériale la venue d’une tapette Parisienne au vocabulaire de carabin et aux manières de fille perdue.

    « - Tu comprends, mon amour, m’expliquait il trois fois par jour au téléphone, chez moi l’homosexualité n’est pas tellement bien vue. En ce qui me concerne, chacun « sait », mais ils font comme si de rien n’était. Sujet tabou, politique de l’autruche. « -Mais comment se fait il qu’un beau garçon comme Julien, gnagnagna, n’ait pas de copine ? » ; « -Oh vous le connaissez, Julien, il est tellement timide et tellement discret. ». Timide, mes couilles ! Condamné au placard jusqu’à la carte vermeille, oui ! Je pourrais bien sur, te faire passer pour un copain de fac ou un collègue de bureau, mais ça ne marcherait pas. D’abord parce que tu es trop jeune pour le rôle, et puis rien que la manière dont nous nous regardons est un aveu. Mes parents encore, je pense qu’ils sont prêt à accepter un homme dans ma vie du moment qu’il s’agit d’un homme bien ! Non, le problème c’est mon grand frère ! »

    Putain de frangin, parlons en du putain de frangin !

    Un gosse de bourges retourné à la terre pour y exhumer les racines agro-pastorales d’une famille qui n’avait jamais officié que dans les lettres et la magistrature.

    Un berger diplômé d’un institut supérieur d’agriculture, bien qu’il se la jouât volontiers autodidacte et homme des bois.

    Un égorgeur d’agneaux, un éventreur de porcs, un tueur de marcassins et de colombes.

    Un fabricant de fromages et de vins résinés des montagnes, toujours vêtu de treillis ou de bleus de chauffe, fleurant, du moins l’imaginais je, le lait aigre et la piquette tournée.


    Un militant Nationaliste convaincu, pour lequel tout ce qui n'était pas Corse et attaché aux traditions ancestrales de l’île - à fortiori les pédés; puisque de toute évidence un véritable Corse ne saurait donner dans l'inversion- devait être immédiatement et sans procès, brulé vif en place publique.

    Bref, un cauchemar vivant, mais un cauchemar que Julien vénérait.

    Un mot de travers au sujet de l’idole et il se fermait comme une clef d’arc scelle une voute.

    « - Parle pas comme ça de mon frère ! »

    A force de ne pas en parler « comme ça », je n’en parlais plus du tout, laissant à « Beau. Masque » le soin de composer avec son insupportable famille, tandis que je m’étiolais dans un paradis perdu ou la beauté sculptée des Adams moulés dans leurs petits maillots « Roberto Cavalli » laissait indifférents des yeux qui ne voyaient plus rien de ce qui n’était pas Julien.

    Du reste, à la plage je n’y allais plus, non par crainte de succomber à des excès de virilité dénudée, mais plus prosaïquement, parce que mon fichu téléphone ne captait pas de réseau dans la crique de Cala di Volpe ou nous avions établis campement et que je redoutais de louper l’appel qui m’aurais fait quitter l’ile dans la minute.


    Je ne mangeais plus et je buvais trop. Je ne sortais pas, ne dormais pas, je fumais comme une cheminée d’usine.

    Je passais mes nuits à affronter la chanteuse et son copain en de furieuses parties de poker, ce terrible jeu de stratégie et de mort. Le somptueux désastre de ma vie sentimentale me valait de bénéficier de mains princières.

    Au petit matin, plumés jusqu’à l’os mes pigeons allaient se coucher.
    Sur ses entrefaites, comme prévenue par un signal secret, arrivait, bougonne et peu amène la dame chargée de l’entretien de la maison.

    « -Pas encore couché ? C’est du joli !


    Elle me regardait longuement, pensive et peut être apitoyée.

    « -Mais comment tu fais pour vivre à l’envers de tout de le monde ?

    Je répondais que je ne savais pas, que je m en foutais, que je ne voulais surtout pas être comme tout le monde et c’était à peine si je mentais.

    Désœuvré, je déambulais dans l’enfilade de salons qui composaient le rez de chaussée, ouvrais des livres dont je relisais inlassablement et sans m'en souvenir toujours les mêmes trois ou quatre premières pages.

    La matinée avançait lumineuse et tropicale.

    J’appelais Sandra qui m’engueulait.
    J’appelais « La Miss » qui me battait froid.
    J’appelais mon père qui me cajolait.

    Je rejoignais enfin ma chambre dont le balcon donnait sur la mer. J’apercevais les premiers baigneurs éclaboussés d'azur.

    De jeunes Sardes aux mèches noires piquées d'or, à la peau boucanée, aux longs muscles agiles, jouaient à se battre pour de faux, à s enlacer pour de vrai. Leurs cris d enfants se mêlaient au fracas des vagues.

    « - Lâche-moi, oh pèdè !

    Et j’attendais que sonne un téléphone qui au fil des jours sonnait de moins en moins souvent.